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John Dewey
John Dewey en 1902.
Naissance

Burlington (Vermont),
Drapeau des États-Unis États-Unis
Décès
(à 92 ans)
New York, Drapeau des États-Unis États-Unis
Sépulture
Université du VermontVoir et modifier les données sur Wikidata
Nationalité
Américaine
Formation
Université Johns-Hopkins
Université du Vermont
Burlington High School (en)Voir et modifier les données sur Wikidata
École/tradition
Social-libéralisme, pragmatisme
Principaux intérêts
Philosophie, politique, éducation, morale
Idées remarquables
Instrumentalisme, expérience, théorie de l'enquête
?uvres principales
Démocratie et éducation (1916),
Reconstruction en philosophie (1920),
Expérience et Nature (1925),
Le Public et ses problèmes (1927),
La Logique (1938)
Influencé par
William James, Charles S. Peirce, Hegel, Charles Darwin, George Herbert Mead
A influencé
Social-libéralisme, pragmatisme, éducation nouvelle, Rorty, Putnam, Taylor, Hook, École de Chicago, Habermas, Honneth, Veblen, Malabou, Freinet, Decroly, Deledalle, Zask, Quéré, Whitehead
Père
Archibald Sprague Dewey (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Fratrie
Davis Rich Dewey (en)Voir et modifier les données sur Wikidata
Distinctions
Carus Lectures (en) ()
Doctorat honoris causa de l'université de Paris ()
Docteur honoris causa de l'université nationale autonome du Mexique ()Voir et modifier les données sur Wikidata

John Dewey (prononcé [?dju?i]), né le à Burlington dans l'État du Vermont et mort le à New York, ville de l'État de New York est un philosophe et psychologue américain, une des figures majeures de l'école philosophique américaine du pragmatisme fondée par Charles Sanders Peirce et William James.

John Dewey est également connu pour ses nombreux essais, articles traitant de la pédagogie.

John Dewey est aux États-Unis la tête de proue de l'éducation nouvelle.

Son épistémologie est d'abord de type instrumentaliste. Illustrant sa volonté de rompre avec la philosophie antique qu'il voit comme plus ou moins liée à la classe dominante, pour en faire un instrument de transformation collective et délibérative du monde. Le principal moyen envisagé par Dewey à cette fin est ce qu'il nomme la « théorie de l'enquête », qui refonde la logique et dans le cadre de laquelle les théories philosophiques traditionnelles sont alors vues comme des moyens de fournir des hypothèses à tester.

John Dewey participe également, en parallèle avec le nouveau libéralisme anglais, à la constitution d'un « social-libéralisme » dont il se situe à l'aile gauche, à la fois égalitariste et libertaire. Pour lui l'individu n'est pas un être isolé, mais vit en interaction à sa société environnante. Cette thèse marque sa philosophie politique comme en témoigne l'importance donnée à l'espace public, et la régulation des conséquences des transactions et interactions entre individus, régulation qu'il ne tient pas comme allant de soi, mais comme résultant de l'« enquête », mais aussi du conflit, de la délibération et de la persuasion. Sa philosophie politique vise aussi, et peut-être surtout, le développement de l'individualité, c'est-à-dire de la réalisation de soi à travers la démocratie, conçue non pas comme une forme de gouvernement, mais comme une participation des individus à l'action collective et comme Ethos ou culture.

Enfin, sa pédagogie, étroitement liée à son idéal démocratique, vise à donner aux étudiants les moyens et le caractère nécessaires pour participer activement à la vie publique et sociale.
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Biographie

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Jeunesse et formation

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Transport de pétrole à Oil City en Pennsylvanie en 1864. Dewey a enseigné dans cette ville vers 1880.

John Dewey est né à Burlington dans le Vermont, au sein d'une classe moyenne d'origine flamande. Il est le fils d'Archibal Sprague Dewey, homme d'affaires, et de Lucina Artemisia Rich Dewey, une évangéliste fervente. Il a un grand frère Davis Rich Dewey, économiste et un plus jeune frère, Charles Miner Dewey. Les parents de John étaient très différents l'un de l'autre : alors que son père était imprégné de l'expansion commerciale et économique, sa mère était plus préoccupée par le développement intellectuel, le service public et les valeurs morales.

Comme son ainé, Davis Rich Dewey, il étudie à l'université du Vermont (Phi Beta Kappa), d'où il sort diplômé en 1879. L'intérêt de Dewey en tant qu'étudiant se situait principalement dans le domaine de la philosophie politique et sociale, un cours enseigné par Matthew Buckham, mais également dans le domaine de la philosophie mentale et morale, enseigné par Henry Augustus Pearson Torrey (en).

Carrière

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Une fois diplômé, John Dewey enseigne pendant deux ans dans des classes du primaire et secondaire à Oil City en Pennsylvanie. Pendant son temps libre, il poursuit son projet de lecture des classiques de la philosophie. Cette étude de la philosophie est soutenue par des cours particuliers de philosophie classique enseignés par son ancien professeur, H.A.P. Torrey. C'est, par ailleurs, ce dernier qui a encouragé Dewey à faire de la philosophie la carrière de sa vie.

Dewey a presque 23 ans lorsqu'il poursuit ses études à l'université Johns-Hopkins en septembre 1882. Parmi les professeurs ayant eu une influence sur lui, on retrouve le philosophe et enseignant George Sylvester Morris qui lui fait découvrir Hegel, et par G. Stanley Hall, un philosophe et psychologue qui dirige sa thèse. Paradoxalement, alors qu'à cette époque Charles S. Peirce enseigne à cette université, il ne se lie pas à lui et ne découvre le pragmatisme de Peirce que vingt ans plus tard. Dewey obtient son Ph.D (doctorat) de l'université Johns-Hopkins en 1884 avec une thèse non publiée et perdue, intitulée The Psychology of Kant. Il est nommé assistant à l'université du Michigan (1884-1888 et 1889-1894), grâce à George Sylvester Morris.

Les années à l'université du Michigan

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En septembre 1884, Dewey commence à travailler en tant que professeur de philosophie à l'université du Michigan. Dewey a pris en charge les cours de psychologie et de philosophie. Il poursuit ses recherches en psychologie et il a l'idée de réunir la nouvelle psychologie et le néo-hégélianisme en un seul système de pensée qu'on retrouve dans son livre Psychology, paru en 1887. Ce sont pendant ses premières années dans le Michigan, que commence l'intérêt de Dewey pour l'enseignement primaire et secondaire. Il recherche alors une théorie de l'éducation qui viendrait concilier les exigences de l'éducation, de la psychologie et de la philosophie.

En 1888, Dewey est nommé professeur de philosophie mentale et morale à l'université du Minnesota mais son professorat ne dure que six mois. En effet, à la mort de G.S. Morris en mars 1889, Dewey retourne à l'Université du Michigan où il sera élu au poste précédemment occupé par Morris, à savoir au poste de directeur du département de philosophie. Au cours de sa deuxième période au Michigan, influencé par la biologie darwinienne et la psychologie fonctionnelle de William James, Dewey commence à s'éloigner de l'hégélianisme pour se rapprocher de l'instrumentalisme. Ce changement de pensée se reflète notamment dans deux ouvrages : « Outlines of a Critical Theory of Ethics » et « The Study of Ethics ».

Dewey développe l'idéalisme expérimental selon lequel, la seule façon pour l'individu d'acquérir la connaissance de la Réalité, ou de la Vérité, c'est par l'action et l'expérimentation. Selon Dewey, la science est un facteur d'organisation et d'intégration de la société. Le changement de pensée est également accompagné d'un changement d'intérêt : les intérêts sociaux absorbent ses intérêts religieux et la préoccupation pour la démocratie remplace sa préoccupation pour l'Église.

Les années à l'université de Chicago

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En 1886, il se marie avec Alice Chipman Dewey (en), une femme d'une grande force de caractère. Ils ont six enfants. Cette union lui donne « punch et substance ». Influencé par les idées progressiste de sa femme, il abandonne le conservatisme de sa jeunesse ainsi que le calvinisme de sa mère, une évangélique fervente. En 1894, Dewey rejoint la nouvelle université de Chicago et, influencé par le livre de William James, Principles of Psychology, abandonne l'idéalisme pour se rapprocher du pragmatisme. Durant ces années à l'université, il publie quatre essais sous le titre collectif de Thought and its Subject-Matter , dans un ouvrage rassemblant également des essais de ses collègues de Chicago, dont le titre collectif est Studies in Logical Theory (1903). Il dirige le département de philosophie, de psychologie et d'éducation et fonde l'University of Chicago Laboratory Schools où il peut tester ses idées en pédagogie, idées qu'il expose dans une série d'articles rassemblés dans son ?uvre principale en matière d'éducation : The School and Society (1899). En 1899, il est élu président de l'Association américaine de psychologie.

Pendant ses années à Chicago, Dewey se dissocie de plus en plus de la religion organisée pour la remplacer avec l'intérêt pour les questions éducatives et sociales. Dewey appartenait à la Chicago Civic Federation (en), un comité progressiste qui rassemblait de nombreux professeurs d'universités et qui réalisait des études sur les aspects politiques, éducatifs, moraux, philanthropiques et de santé publique de la vie de la ville. En outre, Dewey entretient des relations étroites avec la Hull House, fondée en 1889 par Jane Addams. Il s'agit d'un des plus célèbres établissements sociaux des grandes villes à cette époque. Il s'agissait d'un lieu de rencontre populaire pour les personnes aux opinions sociales diverses et ce sont ces contacts qui ont approfondi et affiné les idées propres de Dewey.

Des désaccords avec l'administration de l'université le conduisent à démissionner de son poste. En 1904, alors qu'il visite l'Europe avec sa famille, un de ses fils, Gordon, meurt en Irlande de la fièvre typhoïde. C'est le second fils qu'ils perdent ainsi, et même si, durant le séjour en Italie, ils adoptent un enfant du même âge, Dewey et sa femme ne s'en remettent jamais vraiment. À partir de 1905, et jusqu'à son décès, il est professeur de philosophie à la fois à l'université Columbia à New York et au Teachers College de l'université Columbia.

Maturité et postérité

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Bibliothèque Harper de l'université de Chicago. Harper est le président de cette université à l'époque où Dewey y enseigne.

Dewey considère que sa période de maturité commence avec son article The Need for a Recovery of Philosophy (1917) publié au sein de l'ouvrage Creative Intelligence, Essays in the Pragmatic Attitude, dans lequel il insiste pour que la philosophie s'occupe d'abord des problèmes de l'homme et moins de ce qu'il appelle des pseudo-problèmes (comme l'épistémologie et la métaphysique). La période de l'entre-deux-guerres est particulièrement féconde ; en dépit de la mort de son épouse en 1927. Il écrit de nombreux ouvrages importants : Reconstruction in Philosophy (1919 ; traduit en français sous le titre : Reconstruction en philosophie, 2012), Human nature and conduct (1922), Experience and Nature (1925 ; en français : Expérience et Nature, 2012), The Quest for Certainty (1929), Art as Experience (1934 ; en français : L'Art comme expérience, 2005), A Common Faith (1934)), Logic: The Theory of Inquiry (1938 ; en français : Logique : la théorie de l'enquête, 1967) ou encore Theory of Valuation (1939).

Durant cette période, il écrit aussi des ouvrages plus tournés vers la philosophie politique : Le Public et ses problèmes (1927) écrit pour partie en réponse à Walter Lippmann, Individualism Old and New (1930), Liberalism and Social Action (1935 ; en français : Après le libéralisme) et Freedom and Culture (1939 ; en français : Liberté et culture). En plus de ses livres, il écrit dans des journaux, tels que The New Republic, et participe à la vie publique. Politiquement, il soutient lors des élections présidentielles Theodore Roosevelt en 1912 et le sénateur Robert M. La Follette en 1924. Plus tard, il s'oppose au communisme soviétique et à ses affiliés. Sur l'échiquier politique, on le classe à l'aile gauche du New Deal de Franklin Delano Roosevelt. Durant cette époque, il voyage notamment au Japon et en Chine (1919-1921), en Turquie (1924), au Mexique (1926) et en URSS (1928). Il écrit à la suite de ce voyage Impressions of Soviet Russia and the Revolutionnary World.

En 1946, John Dewey épouse en secondes noces Roberta Lowitz Grant (1904-1970), et ils adoptent deux enfants, orphelins de guerre. Il meurt en 1952, à 92 ans.

Si durant sa maturité il jouit d'une grande influence, celle-ci disparaît très rapidement après sa mort en 1952 alors que, dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, sa philosophie est supplantée par la philosophie analytique. Toutefois, cette éclipse est brève et sa pensée connaît assez rapidement un regain d'intérêt notamment à travers les ?uvres de Richard Rorty, Richard J. Bernstein, de Charles Taylor et de Jürgen Habermas, qui développent une approche de la démocratie dont il peut être vu comme un des précurseurs.

Ses engagements

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Engagements humanistes
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Dewey participe à de nombreuses activités humanistes des années 1930 aux années 1950. Il siège au conseil de la First Humanist Society of New York (en) (1929) et fait partie des 34 signataires du premier Manifeste humaniste (1933), puis il est élu en 1936 membre honorifique de l'Association de la presse humaniste. Dans un article intitulé « What Humanism Means to Me » publié dans l'édition de de Thinker 2, il définit ainsi son humanisme : « Ce que l'humanisme signifie pour moi est une expansion, et non une contraction, de la vie humaine, une expansion dans laquelle la Nature et la science de la nature sont faites servantes consentantes du bien humain ».

Engagements politiques et sociaux
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Benedetto Croce, philosophe, historien et homme politique libéral italien, membre comme John Dewey du Congrès pour la liberté de la culture.

Dewey adhère en 1935, en même temps qu'Albert Einstein et Alvin Johnson, à la section américaine de la Ligue internationale pour la liberté académique.

En 1936, Il est à la tête de la Dewey Commission (en) chargée d'enquêter sur les accusations portées par Joseph Staline à l'encontre de Léon Trotski. Lors d'une réunion en 1938 à Mexico, cette commission conclut à la non-pertinence des arguments de Staline. En 1950, Bertrand Russell, Benedetto Croce, Karl Jaspers et Jacques Maritain se mettent d'accord pour porter Dewey à la présidence honorifique du Congrès pour la liberté de la culture.

Engagement en matière pédagogique
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John Dewey est un des fondateurs du Michigan Schoolmaster's Club ainsi que de l'University of Chicago Laboratory Schools. Parmi ses écrits sur la pédagogie, certains sont notables : The School and Society (1899 ; traduction française : L'École et la société), How We think (1916 ; traduction française : Comment nous pensons), Democracy and Education (1916 ; traduction française : Démocratie et éducation) ou encore Experience and education (1938). Au départ, il conçoit l'école comme un élément-clé de la démocratie avant de revoir un peu son rôle à la baisse et de la considérer comme un élément parmi d'autres. Selon Gérard Deledalle, Dewey est à l'origine du fonctionnalisme en psychologie.

Sa méthode repose sur le « hands-on learning » (« apprendre par l'action ») où le maître est un guide et où l'élève apprend en agissant. Cette méthode est attaquée d'une part par les tenants d'une méthode « centrée sur les programmes » et d'autre part par ceux d'une méthode idéaliste « centrée sur l'enfant ». Pour Dewey, ces deux méthodes antagonistes reposent sur un dualisme entre l'expérience et les matières enseignées, dualisme qu'il récuse.

À la création de la Progressive Education Association (en) en 1919, John Dewey refuse tout d'abord d'en faire partie, puis accepte d'en être le président en 1926, et le reste jusqu'à la fin de sa vie.

Les étapes de la pensée de Dewey

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Auguste Renoir, Enfants sur la plage de Guernesey (1883). La Fondation Barnes est une institution où Dewey a donné des conférences sur l'art, regroupées plus tard sous le titre Art as Experience (1934).

Pour Gérard Deledalle, dans sa jeunesse, Dewey a été influencé par Hegel et par Charles Darwin et il serait possible de dire « que l'histoire de la pensée de Dewey est la chronique d'un long effort pour réconcilier Darwin et Hegel ». Si Darwin l'a conduit à se soucier de l'expérience, Hegel l'a préservé de l'empirisme.

Jusque vers les années 1891, ses écrits sont très marqués par l'idéalisme de George Sylvester Morris. À partir de 1894 et de son Study of Ethics, l'instrumentalisme de Dewey commence à s'exprimer en partie en lien avec l'éducation de ses enfants et en partie avec ses conversations avec George Herbert Mead.

En 1905, à son arrivée à l'université Columbia, Dewey s'engage dans le courant pragmatique au sein duquel il défend une position instrumentaliste. En 1917, il fait paraître un recueil d'essais d'auteurs tels que H. C. Brown, Addison Webster Moore, George Herbert Mead, B. H. Bode, H. W. Stuart, J. H. Tufts, Horace Kallen et lui-même, intitulé Creative Intelligence, un ouvrage que Gérard Deledalle considère « comme le manifeste du groupe de philosophes qui, à la suite de Dewey, donnèrent au pragmatisme une interprétation instrumentaliste ». Les réflexions de Dewey sur l'expérience et l'expérimentation le conduisent alors à écrire deux livres que Gérard Deledalle estime importants : Experience and Nature (1925) et The Quest for Certainty (1929).

Durant sa période à Columbia, il rencontre aussi Albert Barnes, un grand collectionneur d'impressionnistes (notamment de tableaux d'Auguste Renoir) et de postimpressionnistes, ce qui l'amène à réfléchir sur l'art. Les conférences données à la Fondation Barnes sont publiées sous le titre Art as Experience (1934).

Les grands traits du projet philosophique de Dewey

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Dewey et l'instrumentalisme
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L'influence de Charles Darwin amène Dewey à « comprendre la pensée génétiquement, comme le produit d'une interaction entre un organisme et son environnement, et la connaissance comme ayant une instrumentalité pratique dans l'orientation et le contrôle de cette interaction ». Son instrumentalisme prend naissance avec son article de 1896 The Reflex Arc Concept in Psychology, dans lequel il conteste l'idée qu'une prise de conscience découle de manière univoque d'une stimulation de l'environnement. Il voit dans cette façon de penser des réminiscences du dualisme corps/esprit. À cette façon passive de concevoir l'être humain, il oppose une vision plus active, reposant sur un processus d'interaction entre l'homme et son environnement. Il développe ce « naturalisme interactif » dans l'introduction des quatre essais Studies in Logical Theory dans lequel il lie instrumentalisme et pragmatisme en se référant à William James. C'est également dans cet ouvrage qu'il énonce les phases du processus de son concept d'« enquête » : situation problématique, recherche des données et des paramètres, phase réflexive d'élaboration des solutions et de tests de façon à trouver la solution qui convient. Pour lui, cette solution débouche non sur la vérité mais sur ce qu'il appelle l'« assertabilité garantie ». De 1906 à 1909, en parallèle avec William James, il s'interroge sur ce qu'est la vérité pour un pragmatiste.

John Dewey commence à appliquer les principes de l'instrumentalisme à la logique dans son livre Essays in Experimental Logic (1916). Toutefois, pour Clarence Edwin Ayres, ce n'est que dans les Gifford Lectures, publiées sous le titre The Quest for Certainty, que Dewey expose clairement le but et la signification de la logique instrumentale. Celle-ci est d'abord évolutionniste et « constitue la première tentative sérieuse de commencer l'analyse de la pensée avec l'hypothèse que l'homme est une espèce animale qui lutte pour sa survie sur une planète mineure ». Dans cette optique, pour Dewey, les idées sont des instruments dont le domaine de validité n'est pas absolu mais dépend des besoins et des défis que rencontrent les hommes. Dans les Gifford Lectures il oppose la philosophie traditionnelle issue de Platon, qu'il considère comme relevant du mythe et de la magie, à l'instrumentalisme qui, selon lui, ne cherche pas refuge dans l'imagination mais cherche à transformer les conditions de vie en faisant face à la réalité, au moyen d'une enquête intelligible, ancrée dans la réalité présente, et instrumentale, c'est-à-dire qui permet d'agir.

Reconstruction en philosophie
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Bertrand Russell (1872-1970), un des fondateurs de la philosophie analytique auquel Dewey reproche de s'être contenté de mathématiser la logique issue de la tradition aristotélicienne.

Reconstruction in Philosophy paraît en 1919. Dans ce livre, Dewey cherche une reconstruction de l'éthique pour pouvoir répondre au changement et, pour cela, il cherche à identifier une méthode pour améliorer le jugement moral. Pour lui, le jugement moral est un outil pour diriger notre conduite quand les habitudes sont en défaut et il peut être évalué sur la base de ses conséquences pratiques. Pour Richard Rorty, c'est le livre de Dewey qui « regroupe la plupart de ses idées les plus importantes ». C'est un ouvrage qui « a été au centre de la vie politique et intellectuelle aux États-Unis pendant la première moitié du XX siècle ». C'est aussi le plus polémique de Dewey, celui où il s'en prend le plus aux philosophes qui se préoccupent plus de la philosophie pour elle-même que de son utilité pour la communauté. Dewey concentre ses attaques sur deux grands modèles philosophiques : l'empirisme logique qui devient par la suite la philosophie analytique et le modèle qui se focalise sur l'histoire de la philosophie. Aux partisans du premier modèle, Bertrand Russell, Rudolf Carnap, Willard Van Orman Quine, Max Black et leurs disciples, il reproche leur technicité. Aux historiens de la philosophie, il reproche une trop forte exégèse sans lien avec le présent. Pour Dewey, la question centrale à se poser est la suivante : « Que peuvent les professeurs de philosophie pour contribuer à la création d'un monde meilleur ? ».

Dans ce livre, John Dewey critique la tradition philosophique issue de Platon et d'Aristote en se plaçant d'un point de vue génétique, c'est-à-dire en montrant son lien avec le contexte grec de l'époque. Dewey insiste sur le fait que ce type de philosophie est liée aux intérêts d'une classe sociale et n'est pas adapté aux exigences du monde moderne. Il s'élève aussi contre la prétention de ce type de philosophie à se considérer comme investie d'une mission plus haute que les autres arts ou sciences. Par ailleurs, s'il admire la fonction critique de la philosophie classique, il regrette qu'elle soit si peu utilisée à l'égard de la philosophie elle-même. Enfin, il est en désaccord avec la philosophie classique sur l'objet même de la philosophie. Pour lui, elle ne doit pas se focaliser sur des objets comme « Être, Nature, Univers, Cosmos, Réalité, Vérité » en les considérant comme « quelque chose de fixe, immobile, hors du temps, quelque chose d'éternel ou d'universel englobant tout », mais s'occuper des problèmes de l'Homme.

La philosophie, selon Dewey, doit accompagner l'évolution du monde et lui donner un sens, de façon à apporter au monde une certaine harmonie. Il appartient à un courant du libéralisme qui ne croit pas en une harmonie préétablie. Pour lui, « supposer qu'harmonie et ordre puissent régner si de nouvelles fins, de nouvelles normes et de nouveaux principes ne sont pas au préalable élaborés avec suffisamment de clarté et de cohérence est intellectuellement futile et conduirait à une impossibilité pratique ». Selon lui, la reconstruction en philosophie ou, pour le dire autrement, l'orientation que devrait prendre la philosophie, repose sur trois piliers : (1) la philosophie est un processus ? pour Dewey il n'y a rien d'éternellement fixe, (2) les théories deviennent des hypothèses à tester et, en conséquence, (3) pour philosopher, il est urgent de mettre « au point des instruments d'enquête sur les faits humains ou moraux ».

Expérience et nature
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Bronis?aw Malinowski vers 1930. Pour Dewey, l'expérience n'est pas purement individuelle mais dépend des autres, de la culture au sens de Malinowski, de Franz Boas ou d'Edward Sapir.

Experience and Nature, paru en 1925 et traduit en français en 2012 sous le titre Expérience et Nature, se place dans la continuité de Reconstruction en philosophie. L'ouvrage veut expliciter la façon de dépasser les dualismes de la tradition philosophique. Pour ce faire, Dewey considère l'« « expérience » [comme] le socle commun et indifférencié à partir duquel l'existence se différencie, en acquérant les formes qu'elle revêt sous l'effet de la vie sociale et du langage ». En somme, l'expérience permet de surmonter les dualismes (théorie, pratique, etc.) tout en rendant compte de la multiplicité des situations. À la question : « pourquoi le titre Expérience et Nature », Dewey répond : « Le titre (?) est destiné à indiquer que la philosophie qui s'y trouve peut être désignée aussi bien sous le nom de naturalisme empirique que sous celui d'empirisme naturaliste, ou bien encore, si l'on prend le terme « expérience » dans sa signification habituelle, sous celui d'humanisme naturaliste. »

Qu'est-ce que Dewey entend par « naturalisme empirique » ou « empirisme naturaliste » ? Pour Jean-Pierre Cometti, Dewey ne considère pas le terme d'« empirisme » dans son sens logique qui renvoie à l'opposition analytique/synthétique mais à quelque chose qui mêle expérience scientifique et biologique entendue comme échanges entre des organismes vivants et leurs milieux. Pour Dewey, ce qui distingue l'homme de la bête c'est, d'une part, le langage et, d'autre part, l'utilisation d'instruments. Si ceux qu'il appelle les transcendantalistes ont mieux pris conscience de ce fait que les empiristes, il les accuse de s'être trop éloignés du corps et de la nature physique. De sorte que, pour lui, l'expérience n'est pas mentale mais s'enracine dans la nature sociale de l'homme entendue comme une sorte de naturalisme.

Faire une expérience a usuellement une double signification : « c'est « participer » à la constitution de l'objet aussi bien qu'à celle des méthodes pour connaître, c'est examiner la situation sous divers angles pour la déprendre de ses caractères problématiques et agir sur elle ». Mais la vision de l'expérience chez Dewey est plus large. En effet, pour lui, « l'objet de l'expérience (l'objet « expériencé », experienced) » est essentiel et « lui confère des caractéristiques spécifiques » de sorte que s'établissent entre l'individu et son environnement la réalité : « une vaste zone de dialogue ».

Chez Dewey, l'expérience n'est pas purement individuelle, elle s'inscrit au contraire dans un contexte qu'il a été tenté, à la réédition de ce livre en 1948, de nommer « culturel », entendu au sens de l'anthropologie de Franz Boas, d'Edward Sapir et de Bronis?aw Malinowski dont il connait les ?uvres. Aussi, Dewey insiste-t-il sur le rôle des rites et des institutions dans l'accomplissement des actes les plus banals. Il en résulte chez lui deux conséquences importantes : d'une part l'expérience ne concerne pas un individu seul mais un ensemble d'individus et d'autre part l'individu n'est pas prisonnier de ses codes car, par son expérience et ses enquêtes, il peut également les faire évoluer. La lecture de Franz Boas peut ici éclairer la pensée de Dewey : « Les activités de l'individu sont largement déterminées par son environnement social, mais réciproquement ses propres activités influencent la société dans laquelle il vit, et peuvent apporter des modifications dans sa forme. Il est évident que ce problème est l'un des plus importants qu'il faille envisager dans une étude des changements culturels. »

La théorie de l'enquête

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Une volonté de bâtir une logique adaptée au raisonnement scientifique
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Portrait d'Aristote. La théorie de l'enquête vise à élaborer une logique destinée à être pour le monde moderne ce qu'avait été l'Organon d'Aristote pour les anciens.

Pour Gérard Deledalle, John Dewey vise à élaborer une logique qui réponde « aux exigences scientifiques de l'esprit moderne, comme la logique d'Aristote répondait aux exigences grammairiennes de l'esprit grec ». Dewey estime qu'il « n'est pas suffisant d'extrapoler l'Organon, comme le firent Bacon et Mill, ni de le parer des atours mathématiques, comme le fit Russell » mais qu'il faut la fonder sur de nouvelles bases. Aussi, le livre Logique, sous-titré La théorie de l'enquête, n'est ni un traité de logique au sens aristotélicien ni au sens actuel puisqu'il ne comporte aucun symbole mathématique. En effet, ce qui intéresse Dewey dans la logique ce n'est pas de s'assurer du caractère véritable de la chose par un raisonnement déductif et formel, mais, comme l'indique le sous-titre et en lien avec son instrumentalisme, d'établir un lien entre idée et action fondé à la fois sur l'intuition et sur l'étude et la vérification de cette idée. La logique chez Dewey consiste d'abord en une réflexion sur l'enquête où « [le] logicien ne s'occupe pas du processus de l'enquête « temporelle », mais seulement de sa structure formelle, c'est-à-dire des différentes sortes de termes et de canons méthodologiques et de leurs interrelations. Le critère qui permet de distinguer les méthodes d'enquête qui réussissent de celles qui échouent, doit être établi à « l'intérieur » des règles de l'enquête. Autrement, nous n'aurions pas un processus scientifique autonome ».

L'enquête comme recherche à la suite de l'apparition d'un problème
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Le début de l'enquête : la situation indéterminée
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Pour qu'il y ait enquête, il faut une situation indéterminée c'est-à-dire incertaine, instable et douteuse. Cette indétermination n'est pas subjective, c'est-à-dire d'essence psychologique, mais objective, c'est-à-dire réelle. Rappelons que Dewey, marqué par Charles Darwin, a une vision organique du monde. Il voit les hommes comme organiquement liés à leur environnement de sorte qu'un changement dans l'environnement est pour lui objectif ? au sens où ce n'est pas une illusion psychologique ? et provoque une situation indéterminée avant qu'un changement dans le comportement des hommes n'intervienne. Toutefois, ces changements objectifs impliquent aussi chez lui des changements dans la façon dont les hommes perçoivent les choses. En effet, l'homme n'est pas seulement un organisme, c'est aussi un être culturel, la transition entre les deux se faisant par le langage de sorte que « les problèmes qui provoquent l'enquête ont pour origine les relations dans lesquelles les êtres humains se trouvent engagées, et les organes de ces relations ne sont pas seulement l'?il et l'oreille mais les significations qui se sont développées au cours de la vie, en même temps que les façons de former et de transmettre la culture avec tous ses éléments constitutifs, les outils, les arts, les institutions, les traditions et les croyances séculaires ».

Le processus de l'enquête
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Une enquête commence par la recherche des éléments qui rendent la situation indéterminée. Ces observations provoquent des hypothèses qui deviennent des idées quand elles peuvent servir fonctionnellement à la solution du problème. Dewey écrit à ce propos : « une hypothèse, une fois suggérée et soutenue, se développe en relation avec d'autres structures conceptuelles jusqu'à ce qu'elle reçoive une forme dans laquelle elle peut produire et diriger une expérimentation qui dévoilera précisément les conditions qui ont le maximum de force possible pour déterminer si l'hypothèse doit être acceptée ou rejetée. Ou bien, il se peut que l'expérimentation indique les modifications que requiert l'hypothèse pour être applicable, c'est-à-dire convenir à l'interprétation et à l'organisation des éléments du problème ».

La fin de l'enquête : l'assertabilité garantie et la solution au problème
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Pour Dewey, « si l'enquête commence dans le doute, elle s'achève par l'institution de conditions qui suppriment le besoin du doute ». Il y a alors assertabilité garantie, c'est-à-dire qu'on a trouvé la solution au problème. Toutefois, conformément à la vision darwinienne de Dewey, l'environnement continue à changer de sorte que d'autres problèmes surgissent, et avec eux de nouvelles enquêtes sont nécessaires. Chez Dewey, on ne parvient jamais à la Vérité, une notion qu'il utilise peu dans son traité de logique. Il l'utilise d'autant moins que pour lui l'assertabilité garantie est synonyme de satisfaction, d'utilité, de « ce qui paie », de « ce qui marche ».

La philosophie morale de Dewey

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Les fondements
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La psychologie sociale
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La psychologie sociale de Dewey s'organise autour de trois pôles : l'impulsion (ou force motrice), les habitudes et la conduite intelligente.

L'impulsion n'est pas liée chez lui à une idée de fin, elle inclut « ce que nous appelons aujourd'hui les pulsions, les appétits, les instincts et les réflexes inconditionnés ». La psychologie de Dewey se distingue des psychologies basées sur le désir par deux aspects : tout d'abord, pour lui, l'activité est la norme et le repos l'exception, par ailleurs, alors que les désirs impliquent une fin, l'impulsion peut conduire à de multiples fins.

Les habitudes sont « des dispositions socialement façonnées par certaines formes d'activité ou par certains modes de réponse à l'environnement. Elles canalisent les impulsions dans une direction donnée ». Elles font agir de façon non consciente et peuvent se perpétuer alors qu'elles ne sont plus adaptées aux temps présents et que les causes qui leur ont donné naissance ont disparu. Changer les habitudes est difficile pour au moins deux raisons : on s'y attache, et surtout des idéologies vont les adopter et les voir comme des valeurs intangibles et indiscutables. Dewey aspire à ce que le monde s'adapte plus facilement aux changements de l'environnement que ce n'a été le cas jusqu'à lui. À cette fin, il plaide en faveur d'une éducation favorisant l'indépendance d'esprit, l'expérimentation et l'enquête, éléments qui chez lui facilitent les adaptations.

La conduite intelligente survient quand les impulsions et les habitudes ne peuvent plus répondre aux problèmes et se bloquent. Alors les hommes doivent délibérer pour trouver des moyens de surmonter les problèmes.

L'éthique sociale
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Aristote, dans l'Éthique, désigne le monde sensible et immanent par les concepts de rationalisme et d'empirisme (fresque vaticane de l'École d'Athènes).

Dewey ambitionne de changer la moralité de son temps qu'il estime comme n'étant plus adaptée au monde moderne. Aussi, ce qui l'intéresse c'est l'étude du processus d'évolution et le lien entre les théories morales et leur contexte. À cette fin, son livre Ethics commence par « une brève histoire des problèmes moraux et des pratiques des anciens Hébreux, Grecs et Romains ».

Dans ce livre, Dewey voit la morale et les philosophies traditionnelles comme étant au service d'une élite. La volonté de changer cet état de fait est à la base de son éthique sociale. Il veut notamment mettre fin à la dichotomie qui sous-tend la philosophie morale traditionnelle entre « Les Biens purement instrumentaux et les Biens intrinsèques », car il y perçoit un écho de la dichotomie antique entre les gens instruits qui ont des loisirs et le peuple qui travaille. Pour lui, le Bien conçu comme contemplation ou appréciation de la beauté ne peut être l'apanage que de la classe des loisirs qui, pour son contemporain Thorstein Veblen, désigne les très riches d'alors qui se consacraient notamment aux collections d'art.

Si l'on examine ses propositions concernant l'éthique sociale, on constate que Dewey ne se focalise pas tant sur les comportements des individus que sur la façon dont la société doit être organisée et sur les réformes institutionnelles qui doivent être entreprises.

Les valeurs esthétiques

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Dewey traite de l'esthétique dans son livre Art as Experience. Pour lui, l'art crée des objets qui nous permettent de mieux comprendre notre environnement et, à ce titre, il est à la fois un complément et un élément de l'enquête. Chez lui, l'art ne se clôt pas sur la réalisation de l'?uvre par l'artiste, mais implique une participation de ceux qui la reçoivent. Dans cette optique, la critique a pour objet d'enrichir notre expérience de l'art. Elle ne doit pas juger les ?uvres en fonction d'une esthétique du passé, mais être tournée vers le futur et renforcer nos capacités à les apprécier par nous-même.

La critique peut, selon lui, rendre les valeurs esthétiques d'une ?uvre d'art objectives dans la mesure où, en attirant l'attention sur quelques traits saillants, elle réussit à saisir ce que ressentent plusieurs observateurs. Ce qui compte dans la critique, c'est qu'elle accroisse notre capacité à apprécier l'art de façon à enrichir la vie des hommes. Il écrit à ce propos : « l'auditeur informé par la théorie musicale apprend à écouter, et par conséquent prend plaisir à différentes modulations (?) créant des tensions alternées, des accomplissements, et des surprises comme nous les procurent les ?uvres musicales lorsqu'elles sont jouées. Des constatations similaires peuvent être faites pour tous les arts, qu'ils soient artistiques [NdT : fine en anglais] ou pratiques ».

Chez Dewey, l'esthétique n'est pas limitée à l'?uvre d'art. Elle peut être également présente dans le travail. Ici, il reprend une critique adressée de façon récurrente dans son ?uvre au travail très parcellisé des sociétés modernes. Pour lui, le taylorisme, en séparant fortement ceux qui conçoivent de ceux qui produisent de façon quasi mécanique, réserve aux premiers la participation à l'art qu'elle interdit aux autres. Le défi de la société moderne est d'arriver à faire en sorte que l'ensemble de la population fasse ?uvre d'art à travers le travail.

La philosophie du droit de Dewey

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John Dewey n'a pas nécessairement inventé ou découvert quelque chose, il a plutôt consacré sa vie à analyser des questions juridiques d'un point de vue pragmatique. John Dewey était promoteur d'une version particulière du pragmatisme, appelée l'instrumentalisme. Dewey était un critique du libéralisme et du laissez-faire. Ainsi, il considérait qu'une intervention sociale et politique était nécessaire pour corriger les dysfonctionnements des échanges libres sur le marché et protéger l'individu. De plus, c'était un critique de premier plan de la gauche du New Deal de Roosevelt, tout en s'opposant au communisme soviétique et à ses apologistes. Tout au long de sa vie, il a analysé un état de choses dont les trois sujets sur lesquels nous allons plus particulièrement nous intéresser dans ce chapitre sont : la critique du droit naturel, la prise de la décision judiciaire et la théorie sociale du droit.

1. Critique du droit naturel
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Dewey avait critiqué à plusieurs reprises la loi naturelle, la considérant comme un rempart contre la réforme. Toutefois, il avait admis que les arguments de la loi naturelle peuvent parfois servir comme sources d'amélioration juridique.

Il affirme que les affirmations d'intemporalité universelle faites au nom de la loi naturelle sont des déguisements. « Comme un fait, les philosophies juridiques ont reflété et continueront certainement de refléter les mouvements de la période au cours de laquelle ils sont produits, et ne peuvent donc pas être séparés de ce que les mouvements représentent. » Il considère que celles-ci sont liées aux systèmes du passé, aux philosophies juridiques et doivent être considérées en rapport avec les mouvements culturels et sociaux réels des périodes pendant lesquelles elles sont apparues.

Les règles juridiques et les principes doivent rester flexibles pour faire face aux nouvelles circonstances et permettre l'expérimentation avec des réformes, sinon, ils font obstacle au progrès. Au contraire, s'ils sont conçus comme des outils à adapter aux conditions dans lesquelles ils sont employés plutôt qu'en tant que « principes » absolus et intrinsèques, l'attention se portera sur les faits de la vie sociale, et les règles ne pourront ainsi pas attirer l'attention et devenir des vérités absolues à maintenir intactes à tout prix.

2. Prise de décision judiciaire
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Il a écrit des essais sur la personnalité juridique des entreprises, la prise de décision judiciaire, la force coercitive de la loi, et le caractère raisonnable et sur le droit en général. En outre, il a soutenu de nombreuses réformes sociales, y compris, par exemple, les droits des travailleurs à former et à adhérer à des syndicats.

Dewey situe le raisonnement juridique comme une instance d'enquête généralement, compris dans les termes instrumentaux énoncés par le pragmatisme. Ainsi, il distingue deux types de conduite humaine. Le premier type implique une action humaine sans délibération, suivre des routines, des intuitions, une intuition entraînée. Le second type s'engage dans un processus d'enquête dans lequel les faits sont pesés, les alternatives sont évaluées et les conséquences probables sont anticipées lors de la décision d'action à entreprendre.

Il affirme qu'« il est très important que les règles de droit devrait former des systèmes logiques généralisés aussi cohérents que possible, mais ces logiques systématisations du droit dans tous les domaines? est clairement en dernier ressort subordonné à l'économie et prise de décision efficace dans des cas particuliers ».

La systématisation des connaissances, en droit comme dans d'autres domaines, implique souvent des concepts. Les concepts sont indispensables et bénéfiques de plusieurs manières, y compris l'organisation des idées et expériences, au service de l'efficacité et de la stabilité. « Il est pratiquement économique d'utiliser un concept prêt à portée de main plutôt que de prendre du temps, des ennuis et des efforts pour le changer ou pour concevoir un nouveau ». Cependant, les concepts contiennent une « inertie intrinsèque pour leur propre compte » et combinés avec la tendance humaine à un comportement habituel, ils changent lentement et peuvent ne pas être synchronisés avec l'évolution des circonstances et des besoins.

Dewey se tourne vers les décisions judiciaires, en précisant que les motivations des décisions ont plusieurs fins importantes : fournir des raisons qui justifient la décision (montrant qu'elle n'était pas arbitraire ou ad-hoc), pour articuler une règle qui guide la détermination des affaires futures et facilite l'uniformité, et pour fournir un avis, une stabilité et une prévisibilité aux personnes qui ont besoin de conséquences juridiques de leurs actes. Il ajoute que le juge doit rédiger les décisions judiciaires sous une forme logique, pour donner l'impression qu'il est impersonnel et objectif.

Souvent, les juges sont confrontés à trouver le juste équilibre entre le maintien de la stabilité juridique et les changements juridiques. Il souligne qu'« il y a de bien sûr toutes les raisons pour lesquelles les règles de droit devraient être aussi régulières et définies que possible ». Cependant, la réalité, est que les règles comportent des ambiguïtés, sont parfois vagues et indéterminée et ne peut être écrite pour prévoir ou traiter toutes les circonstances et que « les situations ne se répètent pas littéralement dans tous les détails, et les questions de degré de ce facteur ou qui ont le poids principal dans la détermination de la règle générale qui sera utilisée pour juger de la situation en question ».

Lorsque les juges tiennent obstinément aux interprétations du passé, « l'écart entre conditions et les principes utilisés par les tribunaux » s'élargit constamment, suscitant « l'irritation » du public et « le non-respect de la loi ». Dewey soutient que les juges, devraient appliquer « une logique relative aux conséquences plutôt qu'aux antécédents, une logique de prédiction des probabilités plutôt qu'une logique de déduction de certitudes ».

En conclusion, nous pouvons affirmer que la philosophie de Dewey incite les théoriciens du droit à plus d'humilité conceptuelle et à une plus grande implication dans la compréhension des phénomènes sociaux et culturels du présent. De plus, la critique de Dewey invite à un autre type d'enquêtes, attentives aux effets des concepts et appuyées notamment sur la diversité des sciences sociales empiriques.

3. Théorie sociale du droit
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Lors d'une conférence organisée à l'université de Northwestern il avait exposé sa conception de la philosophie de droit. Dewey conçoit le droit comme du social et propose de se détacher des approches traditionnelles en philosophie de droit.

Le texte fondateur de sa philosophie de droit est l'ouvrage intitulé My Philosophy of Law (ma philosophie de droit). Ce texte est une analyse de sa position sur le droit qui vise à montrer que le droit « est de part en part un phénomène social : c'est une activité humaine, mais aussi une interactivité entre des humains ». Il affirme également que : « Le point de vue adopté est que le droit est à travers et à travers un phénomène social, social dans origine, dans le but ou la fin, et dans l'application. ».

Dewey a fait valoir que les interactions ont une influence sur le droit parce que celles-ci se stabilisent progressivement dans des habitudes, des coutumes, qui peuvent devenir des sources de droit. Il identifie les coutumes, qui sont liées à la tendance humaine à un comportement habituel, comme l'origine première et la source du droit. Il essaye de démontrer que la règle juridique évolue et dépend des pratiques sociales et que sa valeur doit être évaluée. Dewey militera pour l'utilisation des « meilleures méthodes » pour examiner et mesurer les effets des règles, des décisions, des lois, ouvrant ainsi aux approches empiriques du droit et de la justice. Il invite à porter un regard plus attentif au droit comme pratique et à construire de nouveaux objets de recherche.

Il décrit l'émergence du droit et du gouvernement en termes évolutifs comme une « cristallisation » des forces sociales en institutions organisées qui gouvernent efficacement par la loi. Les règles juridiques sont des « formulations précipitées » de coutumes sociales de longue date, tandis que la transposition des coutumes en loi renforce et prolonge à son tour la stabilité de ces coutumes. Les décisions judiciaires sont les principaux mécanismes par lesquels les douanes sont incorporées dans la loi. La législation applique également la coutume, bien que la récente immense explosion de l'activité législative est liée aux intérêts sociaux, en particulier ceux liés aux facteurs. Toutes les lois, y compris le droit constitutionnel, la « common law » et la législation, impliquent cristallisation des forces morales (ou sociales) au sein de la société en tant que produits de « tout le complexe des activités sociales ».

Dewey soutient que le droit et l'application est une forme d'utilisation de la force. Selon lui, le droit et la force ne sont pas deux notions séparées, mais qu'il forme ensemble un tout. Cette idée de Dewey s'avère décisive pour la théorie du droit constitutionnel. Ainsi compris, le droit constitutionnel porte sur l'existence du gouvernement, et son étude requiert précisément l'étude de ces « forces sociales » qui définissent et soutiennent l'existence des gouvernements. Pour réaliser la souveraineté, il faut que celle-ci puisse s'exprimer et s'exercer de manière précise et distincte par des organes, ce qui définit justement le droit constitutionnel. Dewey permet ainsi de développer une théorie des différents modes de la souveraineté et d'envisager un renouvellement fécond des instruments conceptuels en droit constitutionnel, notamment (mais pas seulement) à propos du changement constitutionnel.

Dewey applique cette analyse aux batailles en cours entre employeurs et grévistes, qui étaient soumis à des injonctions prononcées par un tribunal contre les grèves et l'application sévère de la police. Il utilise le test instrumental non seulement pour évaluer l'usage de la force par la police, mais aussi l'usage de la force par grévistes. Le recours à la force par la police qui est excessif, brutal ou provoque des réactions négatives ne progresse pas dans des fins sociales : « Un usage immoral de la force est un usage stupide ».

La théorie instrumentale de la valeur

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Les valeurs

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Jürgen Habermas et Dewey ne considèrent pas les valeurs de la même façon. Pour Dewey, à travers les enquêtes, on arrive à une objectivité des valeurs alors que pour Habermas, les valeurs sont liées à des groupes.

Pour Dewey, les valeurs sont des faits. Il écrit : « Les valeurs sont des valeurs, les choses ayant immédiatement certaines qualités intrinsèques. De celles-ci en tant que valeurs, il n'y a par conséquent rien à dire : elles sont ce qu'elles sont ». Les valeurs sont des qualités attribuées aux choses, des propositions qui doivent être soumises à enquête. Il s'inscrit ainsi dans une perspective assez différente de celle connue habituellement en France. En effet, usuellement on oppose normes entendues, notamment par Jürgen Habermas, comme pouvant être universelles et valeurs entendues comme beaucoup plus liées à des groupes ou des personnes. Dans cette optique, les conflits de valeur sont vus comme sans issue. Pour Dewey, au contraire, il y a « une objectivité des valeurs » et cette objectivité apparaît à travers les enquêtes et les expérimentations auxquelles sont soumises les valeurs.

La valuation

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La valuation comprend à la fois une appréciation (valuing) affective qui nous pousse vers une chose ou nous la fait vouloir l'éviter et l'évaluation qui est objective et basé sur l'analyse des conséquences. L'appréciation primitive (primitive valuings) est une expérience passive du plaisir qui diffère du désir en ce qu'elle n'a pas, à la différence du désir, une « fin en vue ». Pour Dewey, la valuation réside dans « la formation raisonnée des désirs, des intérêts et des fins dans une situation concrète », étant entendu que « la valuation implique le désir ». De là il en découle que la valuation n'est pas purement mentale puisqu'elle se réfère à des situations concrètes.

Pour Hans Joas, « les valeurs semblent plus durables, peut-être aussi plus stables, et supérieures aux simples désirs momentanés mais n'en diffèrent pas fondamentalement ». Dewey distingue le désiré du désirable. Le processus de valuation permet de passer de l'impulsion aux désirs et aux intérêts : « Le désirable, ou l'objet qui devrait être désiré (valué), ne descend ni d'un ciel a priori ni d'un Sinaï de la morale. Il vient de ce que l'expérience a montré qu'agir en toute hâte, en suivant sans examen son désir, conduisait à l'échec et potentiellement à la catastrophe. Le «désirable», en tant qu'il se distingue du « désiré », ne désigne donc pas une chose en général ni a priori. Il met en exergue la différence entre l'action et les conséquences d'impulsions irréfléchies et celles de désirs et d'intérêts qui procèdent d'une recherche sur les conditions et les conséquences ».

Pour Dewey, un intérêt est « un ensemble de désirs étroitement reliés » et dans un contexte donné, les intérêts sont si liés qu'en fait pour en valuer un, il faut valuer l'ensemble.

Le jugement de valeur comme instrument

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Selon Elizabeth Anderson, le jugement de valeur est triplement instrumental. Il est d'abord un instrument pour guider l'action future. Le jugement de valeur intervient après une période de crise et de remise en cause des valeurs précédentes. Il s'agit d'un jugement pratique qui ne décrit pas les choses mais qui vise à résoudre le problème et à guider l'action future. Le jugement de valeur évalue les actions et les objets en fonction de leurs conséquences au sens large. Enfin, il est un moyen pour reprendre l'activité sur de nouvelles bases jusqu'à la prochaine crise.

Les jugements de valeur sont testés comme des hypothèses scientifiques en vérifiant que les conséquences qui en découlent sont bien celles prévues. Mais ils ne s'inscrivent pas dans un processus d'essais et d'erreur (Trial-and-error). En effet, avant de prendre la décision, on essaye de la tester à partir de situations analogues. Il faut ici avoir en tête que Dewey est un pragmatiste et que la philosophie morale pragmatiste rejette les philosophies qui déterminent le bien ou le mal a priori. Pour eux, ce à quoi arrivent ces philosophies sont des hypothèses qui doivent être testées. Il y a, chez eux, l'idée que si l'on s'en tient à de purs raisonnements théoriques, on a peu de chances d'atteindre une vie meilleure par l'expérimentation.

Le jugement de valeur dans la problématique moyen-fins

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Il est souvent objecté à Dewey que sa théorie instrumentale de la valeur ne traite que des moyens et pas des fins. Il se distingue, sur ce point, assez fortement d'autres grands penseurs. Pour Max Weber, par exemple, il existe une distinction entre rationalité en valeur et en finalité. La même idée se retrouve chez Amartya Sen qui distingue une tradition éthique associée à Aristote, dotée d'une finalité claire, et une tradition mécaniste associée à la pensée de l'ingénieur. Pour Dewey, à l'inverse, il y a une interaction entre fin et moyen. « La « fin-en-vue » est l'activité particulière qui ?uvre comme facteur de coordination de toutes les activités engagées. Reconnaître la fin comme une coordination ou comme une organisation unifiée des activités, et la « fin-en-vue » comme l'activité spéciale permettant d'opérer cette coordination, c'est lever l'apparent paradoxe attaché à l'idée d'un continuum temporel d'activités, où les stades successifs sont à parts égales fins et moyens. Une fin ou une conséquence atteinte a toujours la même « forme » : celle d'une coordination appropriée. » Le jugement de valeur, dans cette optique, est un jugement pratique, créatif puisqu'il crée de nouvelles « fin-en-vue » et transformatif, c'est-à-dire qu'il transforme notre façon de voir les choses et de les valoriser.

La théorie morale normative chez Dewey

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Dewey face aux théories morales normatives

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Les théories morales normatives qui cherchent à harmoniser les conflits de désirs sont de trois types :

  1. Les théories téléologiques qui cherchent à identifier un bien suprême et qui voient le droit et la vertu comme un moyen de l'atteindre ;
  2. Les théories déontologiques qui cherchent un principe ou des lois de moralité suprêmes auxquels ils subordonnent la poursuite du bien ;
  3. Les théories de la vertu dans lesquelles le principe fondamental d'où dérivent le bien et le droit est celui de l'approbation ou de la désapprobation.
Emmanuel Kant (1724-1804). Dewey est assez critique envers l'impératif catégorique de Kant.

Le pragmatisme en éthique étant « souvent vu comme une forme de téléologie ou de conséquentialisme », il est important d'analyser comment Dewey se positionne par rapport aux trois formes courantes que peut prendre le courant téléologique : l'hédonisme, l'idéalisme et les théories morales basées sur le désir informé.

Concernant les théories hédonistes la position de Dewey est nuancée. D'un côté, il estime que raisonner en termes de plaisir et peine est trop individualiste et ne permet pas d'atteindre une fin approuvée par tous. D'un autre côté, pour Dewey, le désir est important car sans désir il ne peut y avoir de bien. Aussi il va adopter une certaine forme d'hédonisme où le désir est plus réflexif, c'est-à-dire basé sur l'étude des conséquences. Dewey considère que le plaisir en soi ne suffit pas comme critère car contient déjà des éléments de jugement (La valeur morale d'une personne influence ce à quoi elle prend plaisir ou déplaisir) mais donne néanmoins une indication méthodologique pour l'enquête.

Concernant les théories idéalistes, son jugement est également nuancé ? dans sa jeunesse, il a été idéaliste. D'un côté, il croit en la valeur motrice de l'idéal. Mais pour lui les idéaux n'ont pas une portée atemporelle, ils sont liés à une époque, à un contexte et ne constituent fondamentalement que des hypothèses à tester. Si Dewey est proche des théories du désir informé du bien, sa conception de l'Homme l'éloigne des courants contemporains qui ont une vision de la nature humaine plus « fixiste », moins malléable que lui. Pour Dewey notre caractère fait partie de l'information à prendre en compte. Il n'est pas une donnée fixe mais change. Il n'y a jamais d'information complète car le monde change et notre imagination crée de nouvelles possibilités. La recherche de ce qu'est le bien est donc une recherche infinie et est en fait la vie.

« Les théories déontologiques tendent à identifier le juste soit à des lois ou règles de conduites fixées, tels les Dix commandements soit à un seul principe suprême de moralité comme l'impératif catégorique, compris comme fournissant une procédure de décision en éthique ». Pour Dewey, le problème est que, d'une part, les choses changent et que donc les lois doivent évoluer et que, d'autre part, les principes généraux ne permettent pas de traiter tous les cas particuliers. Il conçoit l'impératif catégorique à la façon des critiques de Kant ; c'est-à-dire comme un « formalisme vide ». Pour lui, en effet, il faut d'abord avoir une idée du Bien si l'on veut traiter de morale. Néanmoins, l'impératif catégorique peut être un instrument intéressant dans le cadre de l'enquête car il permet de s'assurer que « les intérêts de tous ont été équitablement examinés ». Le juste ne se réduit pas au bien car il fait appel à l'autorité (et non à l'attirance comme le bien) et vise à harmoniser des prétentions émanant de conceptions conflictuelles du bien et donc ne vise ni le bien de chaque individu et ni le bien de la société sans qu'une conception préalable du juste permette de définir comment incorporer les conceptions individuelles du bien. Mais le juste et le bien sont liés car le juste est un élément important de relations sociales bonnes.

Parmi les théories morales basées sur la vertu, Dewey est assez approbateur des utilitaristes anglais et de leur ambition d'atteindre le standard de bien-être (Welfare) qu'approuverait un spectateur impartial et bienveillant, mais il y fait plusieurs objections : en premier lieu, en lien avec son darwinisme, la notion de bien-être n'est pas fixe et doit donc varier en fonction de l'environnement, en second lieu la notion de standard de bien-être ne doit pas être utilisée pour prendre des décisions de façon algorithmique (ou mécanique). Ces objections faites, il est favorable aux principes d'approbation et de désapprobation déduits de la norme de bien-être des utilitaristes comme ils rendent les individus plus conscients des conséquences de leurs actes et par là plus aptes à se gouverner.

La moralité réflexive de Dewey

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Si Dewey est surtout influencé par la théorie téléologique et par celle reposant sur la vertu, néanmoins il tient les trois types de théorie comme pouvant servir d'hypothèses dans sa conception de l'enquête. En effet, elles nous permettent dans ce cadre de mieux comprendre l'ensemble des conséquences de nos actes. Les idéaux du bien nous permettent de nous projeter vers un bien futur et de le tester, les principes de droit nous obligent à prendre en compte les intérêts des autres, l'approbation ou la désapprobation de spectateurs impartiaux nous oblige à non seulement examiner les conséquences de nos actes, mais également leurs motifs. Ce que Dewey refuse c'est de voir ces théories comme des impératifs transcendants.

John Dewey considère que la conduite morale doit résulter d'une enquête. Dans cette enquête, les principes proposés par les théories morales doivent être pris comme des hypothèses qui prennent chaque fois un point de vue donné, les théories téléologiques, fondées sur des principes du bien, prenant le point de vue de l'individu prudent et informé, les théories déontologiques, fondées sur des principes du juste, prenant le point de vue des personnes affectées, ayant des prétentions sur l'individu et, enfin, les théories fondées sur des principes de la vertu prenant le point de vue de l'observateur externe.

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  18. ? « What Humanism Means to Me » a d'abord été publié dans Thinker 2, juin 1930, vol. 9, n 12. Il est intégré dans The Collected Works of John Dewey, 1882-1953.
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    La commission d'enquête est composée de John Dewey (prés.), Carleton Beals (démission), Otto Ruehle, Benjamin Stolberg et Suzanne LaFollette (secrétaire)
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